Il faudrait plutôt intituler cet article « Histoire des ponts »
En effet si le pont n’avait pas trop été transformé au cours des siècles précédents le XXème siècle et ses deux guerres mondiales vont accélérer dramatiquement le mouvement.
Ces ponts ont été photographiés très souvent par de nombreux touristes et des milliers de cartes postales anciennes ou modernes les mettant en scène ont été imprimées ce qui risque de créer quelques confusions au milieu desquelles j’ai essayé de tirer un fil rouge conducteur . Cette abondante production m’a en tout cas permis d’illustrer quelque peu mon propos.
Nous avions abandonné l’histoire de nos ponts successifs vers 1866- 1870
La fin du pont de pierre 1866
Avant 1870 le pont de Dinant (de 1716 ) était constitué de cinq arches en pierre et d’une travée qui remplaça en 1815 le pont-levis vers Saint Médard
Comme nous l’avons dit, au cours de l’été 1866, une brèche se fit dans les deux arches centrales du pont et l’on décida de lui substituer un pont métallique. On voit nettement sur cette rare photo du vieux pont en pierre les réparations de fortune et la grosse fissure qui prépare la rupture du vieux pont.
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Voici une image d’aval où l’on peut voir l’ancien cimetière de Dinant et l’avers des maisons de la place de la gare avec la rampe d’aval On soupçonne au bord gauche de la photo l’existence d’une des tours
Le pont de 1870 (1870-1914)
Les travaux, laborieux, durèrent de 1868 à 1872. Ils étaient dans l’air du temps : la métallurgie battant son plein ,le nouveau pont présentait trois arches métalliques sur l’eau, complétées par deux arches de pierre couvrant les chemins de halage.
Les trois arches reposaient sur deux piliers de pierres en Meuse. Le pont présentait un garde-fou en fer forgé et était muni de très beaux réverbères. sur des murets prolongeant les piliers.
C’était un remarquable ouvrage d’art d’une indéniable classe ,très « belle époque » La première mouture de l’Hotel des Postes renforçait son élégance.
Le pont fut ouvert en octobre 1870 mais il fallut encore réaménager les rampes tant en rive droite du coté de la place de la Collégiale (rampe vers l’amont ) qu’en rive gauche à Saint Médard (deux rampes)
Il faut noter qu’à cette époque il existait des maisons devant la Collégiale et ce pont devait occuper approximativement la place de celui d’aujourd’hui (le coin de l’Hôtel des Postes servant de repère.)
Ce pont fut donc beaucoup photographié et devait avoir une existence de 44 ans
La destruction de 1914
Dinant étant, comme Sedan, le lieu de passage stratégique de la Haute-Meuse ; son pont fut toujours le point de passage recherché par chaque armée d’occupation.
Les Français le minèrent en 1914 et le firent sauter à l’approche des Allemands, le 23 août à 16 h 28, le jour même des massacres qui ensanglantèrent Dinant.
Peu avant, le 15 août, un jeune officier français fut blessé au coin du pont, côté Saint Médard : il s’appelait Charles de Gaulle. Une plaque commémorative en témoigne aujourd’hui
Ces deux photos montrent clairement les dégâts. On notera que si les arches sur l’eau s’effondrèrent les deux arches de pierre du côté des berges , restèrent intactes, ce qui s’avéra utile pour les réparations postérieures
Trois mois plus tard, l’occupant avait rétabli un passage provisoire sous la forme d’une petite passerelle en bois à une centaine de mètres en amont
Le pont provisoire semi-rénové de 1915 à 1925
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Une rénovation partielle du pont fut entreprise : un nouveau tablier de bois relia les éléments encore debout à savoir les arches de pierres des rives et les piliers restants
La passerelle de secours et les inondations de 1920
Au cours de la guerre, Dinant envisagea la démolition de ce pont en prévision de l’après-guerre et pour assurer le passage du charroi et des piétons pendant la durée des travaux, on établit en parallèle en face de la Collégiale une large passerelle de secours en bois.
Mais des inondations dramatiques survinrent le 15 janvier 1920.
La Meuse monta rapidement. Elle charriait des branchages qui s’amoncelèrent sous le pont et formèrent barrage.
On fit ce que l’on put pour enlever de force ces entraves mais ce fut peine perdue.Il fallut de toute urgence appeler le Génie.
Les pontonniers vinrent en hâte et ils ligotèrent la passerelle de secours au moyen de câbles d’acier qu’ils attachèrent aux piliers restants de l’ancien pont.
Mais l’inévitable arriva. Sous les yeux d’une foule de Dinantais angoissés, la passerelle se souleva, projetant dans les eaux glacées, cinq soldats qui,en s’accrochant à des épaves, allèrent heureusement échouer plus bas en aval. Ils l’avaient échappé belle. Une partie des piliers de la passerelle s’effondra ou se plia partiellement
Le pont d’entre deux guerres 1925 - 1940
Après la guerre de 1914 un nouveau pont s’éleva.à la place du pont provisoire en bois La firme Joachim. de Jumet, le construisit pour la somme de 2.029.233F. Il fut réceptionné le 31 décembre 1925, le jour même de la plus forte inondation qu’ait connue Dinant, hormis celle de 1740.
L’eau passait au ras du tablier du pont. La photo montre encore la présence de la passerelle parallèle
Pour la réception il y eut des festivités, la foule était nombreuse pour voir la doyenne d’âge de Dinant, Phine Jadot, 94 ans, couper le ruban symbolique.
Le pont s’appuyait sur les anciens piliers récupérés et ressemblait fort à son prédécesseur ; pour le différencier il fallait noter que les murets porte-réverbères avaient été remplacés par des petites niches dans le parapet où pouvaient se tenir deux personnes pour admirer la Meuse
Les maisons situées devant la Collégiale, d’abord remplacées par des petites maisons furent ensuite démolies pour laisser la vue sur la Collégiale que nous connaissons aujourd’hui. Ce pont vit aussi la Collégiale sans toit puis toute la rénovation du bulbe qui présenta depuis lors une lucarne sur sa façade avant
A son tour, le pont de 1925 disparut lors de la guerre de 1940.
La seconde guerre mondiale : le pont provisoire (1940-1944)
Deux voitures blindées allemandes, les premiers éclaireurs des troupes commandées par Rommel, firent leur apparition dans un Dinant quasi vide (la population qui n’avait pas oublié l’invasion sanglante de 1914 avait fui ; elle ignorait que Rommel avait reçu des ordres extrêmement précis de garder la ville intacte et de pas toucher à un seul civil ).
Le Génie belge fit sauter notre pont le dimanche 12 mai 1940, à 16 h 25.
Il fit également sauter le pont-passerelle de Bouvignes et les deux ponts métalliques de chemin de fer de Houx et d’ Anseremme mais on sait que la tête de pont de Rommel se fit au niveau de l’écluse de Houx qui était restée intacte pour ne pas créer un chômage et révéler des gués trop aisés à franchir.(dans la nuit du 12 au 13 mai).
Après avoir créé deux ponts de bateaux à Houx et à Bouvignes pour y faire passer ses panzers et son charroi.
Comme en 1914, l’occupant construisit rapidement une passerelle en amont en face de l’Hôtel de Ville et de l’Hospice de Dinant
Le génie allemand, cette fois, répara provisoirement le pont de Dinant qui fut rouvert à la circulation civile le ler septembre 1940.
Pendant la guerre il existait donc de nouveau un tablier de bois avec poutres métalliques posé sur les piliers restants auxquels on avait ajouté de nouveaux supports
La destruction du pont provisoire en 1944
L’année 1944 amena la libération de la Belgique
Lorsqu’au début du mois de septembre les Américains furent en vue, les Allemands qui occupaient l’Hôtel des Postes, siège de la Gestapo,firent sauter le pont provisoire ainsi que l’écluse de Leffe le 3 septembre dans l’après-midi.
Comme ils manquaient d’explosifs, une seule arche s’écroula du côté du quartier Saint Médard et pour protéger leur fuite, les Allemand tentèrent en vain d’incendier le tablier du pont.
Celui resta cependant accessible à l’infanterie américaine. Celle-ci avait déjà repris pied sur la rive droite , de nouveau à Houx dans la nuit du 4 au 5 septembre 1944.
Le nouveau pont provisoire (1944-1954)
Le génie américain construisit rapidement d’abord deux ponts flottants provisoires dont un en face de la rue Saint-Jacques, l’autre au pied de la rampe du pont puis s’attaqua immédiatement à la reconstruction d’un pont plus solide.
Il aurait pu se contenter de rétablir l’arche manquante, mais le pont fut reconstruit entièrement pour renforcer les assises, étant donné l’importance du charroi militaire qui devait transiter pour la campagne d’Allemagne.
Ce fut donc le travail du génie américain, qui termina l’ouvrage le 18 décembre 1944. quelques jours avant l’offensive Von Rundstedt qui, heureusement n’atteignit pas Dinant pour une troisième invasion.
Il était temps ! Le mardi 12 décembre, leur pont de secours, venait d’être emporté, comme fêtu de paille, par une Meuse à nouveau torrentielle.
Le pont ainsi rétabli servit 10 ans. C’était un pont provisoire en bois sur poutres et poutrelles métalliques dont nous avons retrouvé deux rares photos
Le pont actuel
Dans les années 50 on envisagea de nouveau la construction d’un nouveau pont définitif . J’avais 10 ans et je me rappelle très bien des travaux de drague qui ramenaient toutes sortes d’objets auxquels nous ne pouvions toucher comme de belles bandes de mitrailleuses avec de superbes balles en cuivre.
En 1951, pour traverser la Meuse pendant les travaux du pont actuel qui sera construit exactement à la place du pont de 1944 à 1954,dans l’axe de la rue de la Station, il fallut construire encore un pont provisoire à coté et en aval du nouvel ouvrage d’art, juste devant la Collégiale et arrivant dans la rampe de l’Hôtel des Postes.
Ce n’est que le 22 novembre 1954 que le Ministre Van Glabeke inaugura solennellement l’ouvrage d’art beaucoup plus large formé de deux arches élégantes et un seul pilier avec un look totalement nouveau que nous connaissons aujourd’hui, et qui porte le nom du Général Charles de Gaulle.
Il a déjà donc 53 ans et nous osons espérer qu’il a encore de belles années devant lui
Sources :
Documentation : Claudy Burnay d’après d’anciens articles du journal « Sous le Bulbe » (Grand Père)
Dinant 1940/1945 de Jacques Olivier et Eddy Piot
Editions de Krijger Erpe 2000
Cartes postales Nell ou Thill
Collections photos et CPA ; Claudy Burnay, Claudine Dehan, André Delacharlerie, Jacques Poncelet, Félix Spronck, Freddy Vroenen, Michel Hubert
Michel M.E.HUBERT